et y devint un système de pensée. Il inspira, durant la deuxième moitié du douzième siècle,  les troubadours du Sud de la France qui écrivirent des poèmes lyriques d'une grande beauté. Ce courant littéraire et l'idéal qu'il incarnait se répandirent ensuite dans toute l'Europe occidentale et y connurent un succès bref mais éclatant. L'amour courtois fut alors chanté par les poètes, les troubadours et les trouvères de France, les Minnesingers d'Allemagne et les chantres italiens du « dolce stil nuevo »; et partout, il fut bien accueilli par la bonne société.

Plusieurs grandes dames, qui recevaient les troubadours et commençaient elles-mêmes à devenir de célèbres représentantes de cet art, prirent une part active à la diffusion de cette nouvelle mode littéraire. Elles étaient les principales bénéficiaires et « clientes » du courant courtois. Les romans d'aventure du treizième siècle qui incarnaient cet amour étaient manifestement écrits pour plaire à un public féminin, tout comme les chansons de geste étaient destinées à un public masculin.

L'amour courtois, tel qu'il est conçu par cette société, présentait certains traits caractéristiques indiscutables. En premier lieu, il était tenu pour impossible entre mari et femme. « Mariage n'est pas prétexte à amour », c'est la première des règles. Cette affirmation reposait sur la conviction que l'affection liant des personnes mariées n'avait rien de commun avec le sentiment amoureux qui pouvait, et même devait, être recherché en dehors du mariage.

Les conditions régissant les mariages féodaux suffisent à expliquer ce postulat qui peut sembler pervers à plus d'un contemporain. L'amour courtois était, par essence, librement recherché et librement accordé; on ne pouvait le trouver dans le mariage qui était trop souvent un arrangement parental : on unissait les enfants au nom d'intérêts fonciers. Les fiefs se mariaient mais les hommes et les femmes s'aimaient. Bien sûr, la dame adorée était toujours mariée, mais toujours mariée à un autre.

Les femmes au Moyen Age,
Eileen Power,
Editions Aubier Montaigne, 1979